Définition hémodynamique
A l’état physiologique, 90 % du sang veineux remonte vers le cceur en empruntant les veines profondes et 10 % par les veines superficielles. Plusieurs pompes assurent ce retour veineux. Les plus importantes sont représentées par l’inspiration diaphragmatique pour l’étage fémoro-ilio-cave et la pompe valvulo-musculaire au niveau du mollet.
Au repos s’établit un équilibre sans cesse modifié entre les forces qui génèrent le retour veineux et celles qui s’y opposent (Figure 50). Parmi ces dernières, la pression hydrostatique liée à la pesanteur est la plus constante. A l’inverse, certaines forces, tels le soulèvement du diaphragme ou la pompe cardiaque, « aspirent » le sang veineux, d’autres comme la pression artérielle résiduelle le « poussent ».
Au total, la vitesse du sang veineux variera selon le temps respiratoire (début ou fin d’inspiration, pause respiratoire…), selon la posture ou encore selon les compressions externes (constriction par les vêtements, croisement des jambes…).
La progression du sang veineux n’obéit qu’à une seule loi : le gradient de pression. Celui-ci peut changer à tout moment selon le diamètre du vaisseau, la position du membre, le temps respiratoire…
Ainsi, au repos, en milieu d’expiration, la vitesse est maximale dans le réseau veineux profond. Le sang des veines superficielles est aspiré, via les veines « perforantes », vers le réseau profond. Les valvules sont ouvertes.
Lors d’une pause respiratoire, la vitesse de progression diminue. Selon la posture ou si l’on effectue un effort en apnée, même léger, le gradient de pression se réduit ou s’inverse. Dès lors, les valvules se ferment. Peu après s’installe un nouvel état d’équilibre pendant lequel les valvules flottent librement dans la lumière veineuse. Le sang circule alors dans les deux sens à travers les veines perforantes.
Seules les inversions brutales du gradient de pression provoquent l’occlusion des valvules. C’est ce que l’on observe lors de la contraction musculaire (Figure 51) : le muscle contracté comprime les veines intramusculaires (par exemple, les veines jumelles) et les veines intermusculaires (par exemple, la veine poplitée). Dans les troncs profonds, le sang est chassé à fort débit vers le coeur. Parallèlement, il est aspiré depuis le réseau superficiel par les veines perforantes.
Lorsque le muscle se relâche (Figure 52), la soudaine dilatation des veines s’accompagne d’un bref reflux qui entraîne la fermeture des valvules. On retrouve alors les conditions de la figure 50.
En cas d’insuffisance veineuse superficielle avec, par exemple, une lésion de la valvule ostiale saphène externe (Figure 53), la contraction musculaire repousse le sang vers le coeur via le réseau veineux profond. De ce fait, le sang superficiel est aspiré vers la profondeur en empruntant les veines perforantes et la jonction saphéno-poplitée. Ainsi, en l’absence de lésion des troncs veineux profonds, aucun reflux n’est possible au cours de la systole musculaire.
Lorsque le muscle se relâche (Figure 54), un reflux va s’établir de la veine poplitée vers la crosse saphène externe avec une réentrée du volume sanguin régurgité en distalité vers le réseau veineux profond. Ainsi, se crée un véritable cercle circulatoire fermé, c’est-à-dire un shunt veinoveineux entre la veine profonde et la veine superficielle.
Dès à présent, il nous faut mettre en relief plusieurs éléments
- ne seront qualifiées de reflux que les régurgitations sanguines prolongées d’une durée supérieure à une seconde. En effet, une régurgitation plus courte lors du relâchement musculaire ne reflète que la mobilisation du volume sanguin compris entre deux valvules saines;
- un reflux sanguin témoigne d’un shunt veinoveineux soit entre le réseau profond et le réseau superficiel, soit entre deux réseaux superficiels. Ce dernier point rend compte des reflux détectés dans les troncs veineux superficiels en l’absence de tout point de fuite d’origine profonde. C’est ce que l’on constate lorsque des collatérales saphènes se drainent à contre-courant dans le tronc saphène;
- tout reflux superficiel d’origine profonde est associé à une veine perforante de réentrée distale vers le réseau profond. Bien que parfaitement continente, cette veine perforante apparaîtra dilatée (diamètre supérieur à 2 millimètres). Ceci infirme le dogme encore fréquemment admis qu’une veine perforante dilatée est toujours incontinente. De ce fait, toute exploration veineuse se devra de mettre en parallèle les critères anatomiques ou morphologiques et les critères hémodynamiques.
Avant d’aborder ces critères hémodynamiques, il nous faut démontrer que les reflux veineux ne surviennent pas seulement lors du relâchement musculaire, mais qu’ils peuvent s’observer quand le muscle se contracte.
Lorsqu’il existe un obstacle sur la voie veineuse profonde, la contraction musculaire se solde par une hyperpression dans ce vaisseau (Figure 55). Celle-ci va « forcer » les valvules des veines perforantes et, ainsi, provoquer un reflux superficiel. Le siège du reflux dépend bien sûr de la localisation de l’obstacle. Le sang contenu dans les autres parties du réseau superficiel sera aspiré vers le tronc veineux profond perméable.
L’élévation de la pression dans le réseau veineux profond peut être la conséquence d’un obstacle mécanique (thrombose partielle ou totale, compression externe), mais aussi d’un « obstacle » hémodynamique (contraction du mollet lors d’un effort en apnée comme on l’observe, par exemple, chez les haltérophiles). Si des kystes ou des tumeurs provoquent des compressions externes, celles-ci peuvent également résulter d’anomalies congénitales : trajet anormal d’un tronc veineux profond qui contourne un tendon musculaire plutôt que de le longer et qui se trouve ainsi comprimé à chaque mise en tension musculaire. Enfin, la répétition d’efforts dans des positions non physiologiques est aussi une source de compressions externes.
Lors du relâchement musculaire (Figure 56), en fonction du siège de l’obstacle, de son caractère partiel ou total ou encore de l’association d’une lésion valvulaire profonde, on enregistrera ici aussi un reflux par la veine perforante dans les mêmes conditions que le reflux ostial de la figure 54. Parfois isolé au début, ce reflux s’étendra avec le temps en proximalité (crosses saphènes) et en distalité.
Ces reflux sur veines perforantes incontinentes lors de la contraction et du relâchement musculaires s’accompagnent d’un phénomène de « blow out » décrit par les Anglosaxons. Ainsi s’est dégagée l’idée qu’une varicose peut se développer à partir d’une veine perforante distale. A un stade évolué, ces veines perforantes, notamment celles de Cockett, favorisent l’apparition de lésions cutanées.
L’hémodynamique veineuse est une discipline complexe qui doit accompagner systématiquement toute description anatomique.
Il est essentiel de retenir que tout reflux sanguin n’est pas pathogène, c’est-à-dire associé au développement d’un réseau variqueux (défini comme des veines dilatées, tortueuses et siège d’un reflux), à des signes fonctionnels ou encore à des troubles trophiques.
Physiologiquement, la veine s’adapte en permanence aux variations de pression soit par un système de relais des différentes pompes, soit en modifiant son diamètre. La circulation du sang veineux n’est pas uniforme : elle varie d’un territoire à l’autre, progressant par à-coups, pouvant aller jusqu’à s’inverser transitoirement.
Face à un état pathologique, le reflux doit être caractérisé par
- son ou ses origines : il peut s’agir d’un shunt veinoveineux issu de veines profondes et impliquant les saphènes, les veines perforantes ou encore les veines d’origine pelvienne, ou d’un shunt veinoveineux créé entre deux réseaux superficiels;
- l’importance et la topographie du réseau variqueux qui en dépend (cartographies).
La plupart des veines perforantes dilatées sont des veines perforantes de réentrée et non des veines perforantes incontinentes. Des tests dynamiques sont dès lors indispensables pour les différencier. Ces épreuves dynamiques évalueront par ailleurs la fonction pariétale (capacité de contraction de la paroi veineuse). La quantification d’un reflux ne se limite pas à la seule détermination de sa durée : elle passe également par l’évaluation du développement du réseau variqueux sous-jacent ainsi que par l’appréciation qualitative des réentrées et de la pompe musculaire du mollet.
Pour en savoir plus
Bjordal R. Circulation patterns in incompetent perforating veins in the calf and in the saphenes system in primary varicose veins. Acta Chir Scand 1972, 138: 251.
Browse NL., Burnand K.G. Diseases of the veins. Edward Arnold 1988, London.
Franceschi C. Théorie et pratique de la CHIVA. Editions de l’Armançon 1988, Precy-sous-Thy…
Saglio H., Caille J.P., Vergoz L. Réflexions sur le sens du courant à travers les perforantes dans la varicose essentielle systématisée. Phlébologie 1974, 27 (1): 19-23.